Syzygie#26 – chapitre 18

DEUXIÈME PARTIE

2015

18

Le TGV filait en remontant la basse vallée du Rhône, s’écartant parfois du fleuve, jouant au chat et à la souris avec l’autoroute A7, ce qui rappelait à Erno les supposées malversations quant au tracé de la Ligne Grande Vitesse dans la région d’Échully, évoquées par le vigneron Alexis Camus quelques années plus tôt. Sept ans plus tôt, précisément. Il s’en était passé des choses depuis cet été 2008. Et pas que des bonnes, à commencer par la mort de sa sœur Catherine.1

Erno posait son regard sur cet horizon pour se rendre compte que sa mémoire ne s’en était pas encombré. Il ne reconnaissait rien de précis, les vignes succédaient aux vergers, les villages perchés se confondaient tous à ses yeux.

Il consulta sa montre. Il arriverait bientôt à Valence, où il louerait un véhicule pour gagner Échully. La liaison ferroviaire entre la préfecture et les villages de la vallée de la Drôme était en voie de disparition, après un lent déclin déjà amorcé à l’époque où Erno y officiait. Cette désertification des campagnes et des petites villes, celle des centre-villes et la sur-urbanisation des banlieues (ou périphéries, comme il était plus convenable de dire à présent), tout ce « désaménagement » du territoire, n’allait pas dans le bon sens, songea-t-il, avant que ses pensées ne le ramènent à son départ du désert Malien.

Jacquemont et lui avaient quitté le campement touareg, leur mission terminée. Ils avaient passé le relais à Marc Kervadec, dont la réputation sur le sol africain n’était plus à faire2. Pour autant, Erno avait jugé le colonel fatigué. Pire : usé, proche du bout du rouleau. Son regard s’était perdu une ou deux fois pendant qu’Erno lui exposait la situation, un signe qui ne trompait pas, selon lui. Mais ce n’était pas ses oignons.

Un avion militaire les avait convoyés jusqu’à Tunis où ils s’étaient séparés, Jacquemont prenant un vol pour Lyon et Erno un autre pour Marseille. Vol sans histoire pour Erno, atterrissage à l’heure prévue et un taxi disponible dès sa sortie de l’aérogare de Marignane. La facture serait pour le Cube dont les moyens, avait-il noté, semblaient chaque année de moins en moins limités, sans doute également de moins en moins contrôlés. Hormis les encombrements habituels sur l’A50 à hauteur de Plan de Campagne, le taxi fila vers Plassans, aux confins du Var et des Bouches-du-Rhône, au pied du massif de Sainte-Victoire. La montagne était nimbée de brume, l’absence de mistral ne chassant pas le nuage de pollution industrielle en provenance des usines de l’Étang de Berre. La face sud et sa longue paroi de calcaire lui rappela par certains aspects les Trois Signaux dominant Échully.

À Plassans, Claire l’attendait dans le salon de leur maison de village. Ils avaient un temps hésité à la mettre en vente et déménager. Tout comme ils avaient un temps hésité à se séparer. Mais, rapidement, les fantômes avaient cessé de les tourmenter et Claire avait réaménagé la pièce où Erno avait abattu cet homme, et leurs yeux pouvaient à nouveau se poser là où il était mort sans pour autant craindre l’insomnie3.

Claire l’attendait, assise sur le canapé. Nue. Elle ne changerait jamais, songea Erno qui aurait apprécié pouvoir prendre son déjeuner avant de se laisser guider vers la salle de bain, où les baisers et caresses qu’ils échangèrent sous la douche se prolongèrent sur le lit de leur chambre attenante. Et, lorsqu’il eut enfin englouti une large part de tarte thon-tomate accompagné d’un verre de vin blanc des coteaux d’Aix voisins, Claire l’entraîna cette fois dans le salon où elle s’installa dans un fauteuil, les jambes écartées passées sur les accoudoirs. Claire ne changerait jamais, il devait en prendre son parti. Il devait reconnaître aussi qu’il avait été absent plusieurs semaines et serait dès le lendemain en route pour Échully. Comment donner tort à Claire : il fallait savoir profiter des moindres instants. Avec le temps, il se disait aussi que Claire ressemblait à Catherine sur ce plan là, mais il préférait ne pas approfondir la question…

À Valence, Erno loua un véhicule et il ne lui fallut qu’une demi-heure pour rejoindre Échully où il réserva une chambre au Grand Hôtel, un trois étoiles où il était descendu la première fois qu’il avait mis les pieds ici. Il préférait ne pas débouler chez Vigliano. D’ailleurs, bien que le restaurant de ce dernier existât toujours selon les annuaires Internet, rien n’indiquait que le quasi Gassman y officiait toujours, ayant très bien pu mettre son établissement en gérance.

Une autre recherche auprès des fichiers du ministère de l’Intérieur lui avait restitué trois adresses à Échully :

  • Cécile Kieffer : lieu-dit La Miole
  • Alain Kieffer : 17 rue Amiral-Pons
  • Linda Lemmer : 9 cours René-Dufour

Les trois protagonistes de l’affaire Lemmer demeuraient encore sur place. Les Kieffer avaient divorcé. Cécile avait conservé son nom d’épouse et la maison sur les hauteurs, voisine à l’époque de celle des Lemmer.

Après un déjeuner léger, Erno prit la direction de la Miole. Malgré quelques nouveaux ronds-points, il put se passer de l’assistance de son GPS pour retrouver sa route. Tout au long du trajet défilèrent ses souvenirs, les plus pénibles étant ceux où apparaissaient Catherine et Fab.

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1Lire « Jouer le jeu », éditions du Caïman

2Personnage du roman « Le crépuscule du mercenaire » de André Fortin, éditions Jigal.

3Lire « Carré noir sur fond noir », éditions du Caïman.

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