Syzygie#27 – chapitre 19

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Erno se gara dans la cour, comme sept ans plus tôt. Une fois sorti de la voiture, il examina les lieux, retrouvant une certaine lumière, certaines odeurs. La végétation avait profité. Les volets étaient peints en parme désormais et non plus en blanc, si sa mémoire était bonne. Sur la margelle du puits, deux chats paressaient. Le plus vieux des deux pouvait-il être le même qu’autrefois ? Il claqua la langue contre son palais pour l’appeler, les deux animaux redressèrent la tête, le fixèrent un instant avant de retourner à leur sieste.

Erno fit quelques pas en direction de la maison, essayant de distinguer une silhouette à l’intérieur. Tout ceci lui laissait comme un goût de « déjà vu », plutôt déstabilisant. Il sonna mais personne ne vint ouvrir. Décidément, la scène se répétait en tout point. Il contourna la bâtisse et marcha en direction du jardin. Tout comme sept ans plus tôt, Cécile Kieffer se tenait là, au bout du potager, de dos, courbée en deux. Exactement comme la première fois.

Erno demeura sur place. Silencieux et troublé. Il préféra attendre. Attendre qu’elle se redresse et le découvre. Attendre qu’elle plisse les yeux en le dévisageant, s’avance à pas tranquille et esquisse un sourire.

— Bonjour lieutenant.

— Commandant à présent, rectifia-t-il très sottement.

— Félicitations.

Il ne perçut aucune ironie dans son ton. Il trouva qu’elle n’avait pas changé. Ou alors en mieux. Il hésita à le lui dire, mais s’abstint au dernier moment. Celle-ci posa son panier sur la margelle du puits, dérangeant les chats qui s’étirèrent et décidèrent d’aller se chercher un coin plus calme pour dormir.

— Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?

Là, Erno hésita à lui répondre qu’elle le savait pertinemment, tant sa voix la trahissait. Au lieu de ça, il posa près du panier une copie format A4 d’un article relatant la découverte de « l’homme d’Échully ».

— C’est lui, n’est-ce pas ?

Cécile Kieffer jeta un œil distrait à l’article, renonçant à jouer la comédie. Oui, elle savait parfaitement de quoi, de qui, Erno parlait.

— Je n’en sais rien. Vraiment. J’ai vu l’info et oui, j’ai pensé que cela pourrait être Thierry Lemmer. Mais je n’en sais pas plus.

— Peut-être que votre mari le sait ?

— Ex-mari…

— Ou Linda Lemmer ?

— Je ne peux pas répondre à leur place.

— J’irai leur poser la question. Vous la voyez depuis qu’elle n’est plus votre voisine ?

— Il m’arrive de la croiser, répondit-elle en remettant en place ses cheveux en un chignon flou tenu par un crayon de couleur.

— Vous peignez toujours ? demanda Erno en pointant le crayon.

— Ça m’arrive, oui.

Le silence s’installa. Erno ne souhaitait rien lui demander de plus pour l’instant. Il ne savait pas encore s’il allait passer voir Alain Kieffer et Linda Lemmer dans la foulée, ou s’il allait les convoquer tous les trois pour une nouvelle confrontation. Confrontation formelle ou informelle, il n’avait pas encore décidé de cela non plus.

Il salua Cécile Kieffer d’un hochement de tête et remonta dans sa voiture de location. Aussi bien elle que lui avaient évité d’évoquer leur dernière rencontre, sept ans plus tôt. C’était mieux ainsi, songea-t-il, puisque – le croyait-il encore – cela n’avait eu aucune importance.

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